01/06/2014

Le numérique au secours des libraires ?

Ce n’est un secret pour personne, le livre numérique prend une place grandissante dans la production littéraire, avec des innovations et des usages visuels nouveaux qui prouvent que le médium commence à se trouver. Beaucoup ont écrit sur la « guéguerre » livre papier vs. livre numérique, les arguments alliant prévisions économiques et prédictions philosophiques. Mon humble avis est que cette concurrence ne sera pas un duel à outrance mais se conclura plutôt par un réagencement de la création artistique et littéraire, numérique et papier trouvant chacun leurs usages propres. Pour des raisons qui ont autant à faire avec les émotions liées au système limbique – ah, la fameuse odeur des bouquins ! – qu’avec la désagréable perspective de voir les éléments abîmer une liseuse électronique, le livre papier a donc encore de beaux jours devant lui.

Mais quid des libraires ? La progression de la vente en ligne, qu’il s’agisse de livres numériques ou papier, signifie un changement des pratiques, qui se traduit par une érosion des ventes et une exigence grandissante des clients en terme de prix et de délais. Les librairies « réelles » rencontrent donc une nouvelle concurrence et de nouvelles difficultés.

En Belgique, la situation est loin d’être dramatique. Des librairies continuent d’apparaître, et certaines ne cessent même de croître, comme Filigranes à Bruxelles. Nous semblons continuer à voir le livre comme un objet culturel à part, du livre pour enfant ou de poche que nous achetons sur un coup de tête au « beau livre » et à la « grande littérature » placés sur un piédestal. Devant le challenge que posent toutefois les sites comme Amazon (en toute honnêteté, le site américain a réussi à s’imposer comme LA référence de la vente de livres en ligne et a peu de concurrents directs), les librairies cherchent des solutions adaptées. Les grands groupes, comme la Fnac, semblent choisir la diversification des produits et des canaux de vente (en boutique mais aussi en ligne ou via des apps) et donc voués à devenir des sortes de pendants « physiques » d’Amazon.

À l’inverse, la large proportion d’indépendants qui composent encore le paysage des librairies belges se sont depuis longtemps tournés vers la spécialisation. Librairies pour enfants (Le rat conteur, La Parenthèse), librairies BD (Brüsel, Slumberland), librairies polars (Polars & Co.), librairies en langues étrangères (Sterling Books, Punto y Coma), librairies cuisine (Le libraire toqué, la librairie-restaurant Cook & Book), il y en a pour tous les goûts. Même les librairies plus « généralistes » revendiquent leurs différences : service personnalisé et « humain » pour Filigranes, libraires spécialistes (et souvent universitaires, c’est plus classe) chez Molière, sélection subjective et originale chez Styx, animations et rencontres chez Tropismes. Le monde numérique, même s’il apparaît par le biais de la commande en ligne et de portails dédiés aux ouvrages numériques, reste pour l’instant bien cloisonné dans le monde de la librairie « réelle ».

Côté anglo-saxon par contre, la situation devient franchement morose pour les libraires indépendants comme pour les chaînes grandes ou petites, telles Waterstone’s ou Foyles au Royaume-Uni. Cette dernière s’est penchée sur la question de son avenir, imaginant une librairie du futur à l’aide d’architectes, d’éditeurs et de lecteurs. Dans son article « Book to the Future » paru dans Intelligent Life, la journaliste Rosanna de Lisle évoque certains projets brainstormés par la firme : distributeurs de livres (comme ceux pour les snacks et les boissons, pratique quand on tombe à court de lecture), résidences d’auteurs, espaces de lecture privés, ou encore mur extérieur tactile permettant d’accéder à tout le catalogue du libraire.

Le magazine a à son tour demandé à différents cabinets leur vision de la librairie de demain. Certaines idées similaires à celles de Foyles ont émergé, ainsi que d’autres bien différentes. La librairie devient « galerie » pour Burdifilek, où la vente de livre se voudrait à thématique temporaire et associée à des produits liés, afin d’avoir le « luxe » de toucher et acheter sans avoir à courir d’une boutique à l’autre. Gensler envisage un espace d’achat rapide avec des présentoirs et, à nouveau, un mur tactile où l’on peut télécharger directement par code QR, qui se poursuit par une zone où le lecteur peut s’attarder, conseillé par un « sommelier littéraire » sur la boisson à consommer avec chaque livre, ou prendre part à un club de lecture. L’agence 20.20 envisage un espace fermé par un écran géant couvert de listes de lecture et où se côtoient auteurs – confirmés pour des conférences, novices pour un stand d’auto-édition – et lecteurs – feuilletant la sélection sur des présentoirs ou buvant un café devant tapis roulant garni de nouvelles et de critiques de livres.


                                                                         © Coffey Architects

Mais c’est le projet de Coffey Architects qui a le plus impressionné la journaliste, et moi avec elle. Dans un espace rétrofuturiste, une estrade offre la « performance » d’un auteur ou l’atelier d’un relieur, ou encore une projection. Le reste de la « librairie » ne présente presque aucun ouvrage mais permet, grâce à des robots, d’imprimer le texte de son choix (le sien ou un texte existant), de choisir la couverture, le papier, l’encre, la police, les illustrations, etc. La fin du pilonnage, une juste rétribution des auteurs et l’accès à tous les textes jamais écrits (pour autant qu’ils soient numérisés) : le livre comme objet d’artisanat et d’art en réponse à la fadeur du livre téléchargé, en somme. En ces temps où la censure et les trigger warnings (la prévention contre les passages potentiellement « traumatisants » d’un ouvrage) font débat aux Etats-Unis, le problème majeur serait donc de garantir l’intégrité des œuvres. À moins que ce concept ne devienne obsolète, chacun éditant ce qu’il souhaite ; l’individualisation poussée à son paroxysme ? On n’en est bien loin, mais cette réflexion sera sans doute un jour pertinente.

Des catalogues tactiles aux robots imprimeurs, des conférences retransmises en direct aux sommeliers littéraires, des espaces « multi-produits » aux zones de lecture privées, ces nouveaux usages – technologiques ou non, mais innovants néanmoins – ne font finalement que renforcer les rôles déjà joués par les librairies. C’est en effet à la fois sur le terrain de l’interaction (entre personnes et avec les objets) et de l’expérience (où les cinq sens sont pris en compte) que la librairie du futur continuera de faire la différence.

Merci à Thalie Natkiel (responsable Communication et rayons Jeunesse et BD, Tropismes) et à Charles Cachelou (directeur, Filigranes) pour leur collaboration à cet article.
 
L’article de Rosanna de Lisle paru dans Intelligent Life qui a inspiré ce post : « Book to theFuture » (May-June, pp. 42-47)

18/05/2014

Commémoration 14-18 : nouveaux outils pour nouveaux points de vue


De 2014 à 2018, l’Europe commémore la première guerre mondiale. Cette commémoration donne bien sûr lieu à de nombreuses expositions et à de nombreux projets muséaux et médiatiques sur ce thème, pour la plupart empreints d’innovation.

Le plus connu de ces projets en Belgique pour l’instant est sans doute In Flanders Fields Museum à Ypres. L’exposition permanente, inaugurée en 2011, présente à la fois les objets de ses collections et des éléments plus technologiques. Ecrans interactifs tactiles, bornes diffusant du texte grâce à un bracelet à puce qui sélectionne votre langue, carte en relief avec projection d’informations, reconstitution 3D de la Halle aux Draps (qui abrite le musée) dans ses différents états de destruction durant la guerre, tous ces outils s’insèrent de façon fluide parmi les artefacts exposés dans des vitrines, les affiches, les panneaux explicatifs ou les films projetés. Le musée insiste sur l’aspect personnel de la guerre, des films présentant des personnages « réels » (un prêtre, un soldat, etc.) qui invitent à s’intéresser à différents aspects du conflit. Cette rencontre des structures muséales traditionnelles, de l’audiovisuel et de l’interactivité, qui vise à favoriser « l’immersion authentique dans la vie au front », est assez réussie.

                                                                 © In Flanders Fields Museum

Cette immersion, c’est ce que propose également, dans une moindre mesure, l’exposition 14-18 : c’est notre histoire ! au Musée Royal de l’Armée et d’Histoire militaire à Bruxelles. La part belle y est faite aux vitrines et aux décors reconstitués (intéressant les visiteurs de tous âges !), les organisateurs ayant eu peur de « gadgétiser » le parcours. Quelques bornes interactives complètent donc certains objets, ce qui, je trouve, les met particulièrement en valeur et attire réellement l’attention du visiteur. Un « docu-fiction interactif » invite quant à lui à voter parmi quatre points de vue de soldats fictifs, ce qui pousse à réfléchir et à se mettre à la place des combattants de 14-18. Visant plus spécifiquement les groupes scolaires, l’objectif participatif est sans doute atteint, mais sa situation en dehors de l’expo en fait une sorte d’annexe, alors que le film, découpé thématiquement, aurait pu servir de fil rouge à l’exposition et favoriser l’investissement de chaque visiteur. Une opportunité muséographique perdue, peut-être ?
 
                                                                  © 14-18 : c’est notre histoire
 

Les écrans pas en reste


D’avril à mai 2013, une initiative intéressante du Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux (France) a tenu en haleine des milliers de fans avec la page Facebook de Léon Vivien. L’originalité vient du fait que le Léon en question, instituteur, est un poilu qui raconte, à travers ses posts, la vie dans les tranchées. Personnage fictif comme le sont ses « amis », tous reposent néanmoins sur des faits réels et des objets conservés au musée. Outil formidable pour inciter les jeunes (et moins jeunes) friands de réseaux sociaux à se passionner pour l’histoire de la première guerre... Le seul bémol est sans doute de ne pas avoir tiré parti de la chronologie pour faire vivre la page en temps réel à un siècle de distance, comme l’a fait le site américain Mental Floss pour son fil WWI Centennial. Depuis deux ans, le chroniqueur Erik Sass traite des événements politiques précédant le conflit et parvient, paradoxalement, à faire sentir les espoirs et les doutes très humains de ces personnalités aux prises avec l’Histoire avec un grand « H ». Volonté de parallélisme chronologique toujours avec le portail 14-18, la Grande Guerre, qui présente les actualités telles qu’« il y a cent ans dans Le Soir ». Et les nouvelles n’y traitent pas toujours de la guerre : en ce 18 mai, c’est un match de football qui fait l’actualité !

Sur le « petit écran », à côté des traditionnels feuilletons qui fleurissent un peu partout (du In VlaamseVelden de la VRT au Crimson Field de la BBC), la chaîne de télévision franco-allemande Arte innove une fois encore en matière de multimédia. Son docu-fiction télévisé 1914 – Des armes et des mots retrace l’expérience de quatorze personnages d’après leurs lettres et journaux intimes. Un web-documentaire l’accompagne, qui permet d’explorer ces quatorze destins, quatorze lieux importants et quatorze questions transversales sur la première guerre mondiale, ainsi qu’une ligne du temps interactive reprenant quatorze grandes dates de l’assassinat à Sarajevo jusqu’à la fin du conflit. Un jeu interactif assez simple, Machine à remonter le temps 14-18, présente quant à lui le quotidien de 28 personnages pendant la guerre. L’ensemble du concept est à la fois cohérent, très accessible et riche en informations. Arte décroche donc à nouveau la palme pour son innovation documentaire sur le web.
 
                                                                                 © Arte-tv
 
Ce petit panorama ne représente qu’une fraction des initiatives de médiation autour de la « Grande Guerre ». Un point commun à tous ces projets : l’individu au cœur du récit. À la suite de la « Nouvelle Histoire » apparue dans les années 1970, ce sont moins les « grands hommes », les stratégies militaires et les événements politiques qui sont désormais mis en avant, mais l’expérience personnelle de « l’homme – et de la femme – de la rue », fut-il soldat ou civile, ingénieur ou infirmière, commerçante ou paysan. À l’heure des réseaux sociaux où chacun chronique sa vie en quasi permanence, il s’agit sans doute d’une parfaite adéquation entre des pratiques quotidiennes et des préoccupations académiques. Sans basculer dans le « tout à la technologie », il est intéressant de voir comment des dispositifs interactifs ou des réseaux sociaux peuvent servir à intéresser plus personnellement les visiteurs, le faire s’investir. Proposition donc d’un futur slogan de la médiation de contenus culturels, qui rencontre étrangement bien le thème de la première guerre mondiale : « Engagez-vous ! »


Pour aller plus loin :
In Flanders Fields Museum (Ieper) – http://www.inflandersfields.be/fr
14-18, c’est notre histoire! (Bruxelles) - http://www.expo14-18.be/fr
Facebook 1914, Léon Vivien – www.facebook.com/leon1914
WWI Centennial (Mental Floss) – http://mentalfloss.com/section/ww1
14-18, la Grande Guerre (Le Soir) – http://www.lesoir.be/102982/14-18
1914 – Des armes et des mots (Arte) – http://www.14-des-armes-et-des-mots.fr/page/fr/

09/05/2014

Rewics  : entre pratico-pratique et food for thought


Avant-hier à Charleroi se tenait Rewics, les rencontres des territoires numériques innovants. Développement urbain, bidouillage, accessibilité, tiers-lieux, fracture numérique, intelligence organisationnelle, e-learning, tous ces sujets et bien d’autres étaient au programme. La médiation culturelle y était bien sûr aussi présente, par exemple à travers la web radio de Gsara-Charleroi et les présentations de Pédago-TIC a.s.b.l. sur les « innovations pédagogiques et TIC ».

La cinquantaine de stands étaient intéressants et diversifiés : impression 3D, robotique, enseignement, logiciels et solutions pour entreprises, secteur associatif. J’ai été particulièrement intéressée par ceux qui touchaient à l’éducation, comme le projet CyberPack de Numédiart / UMons. J’ai aussi profité du speed coaching d’eMarkeTIC où j’ai reçu plein de judicieux conseils pour mieux utiliser les réseaux sociaux.

Car Rewics est une occasion de s’informer et d’échanger mais aussi de s’outiller. La table ronde - débat sur les EPN m’a permis de prendre conscience des nombreuses activités de ces espaces, mais également de la disparité due aux axes de travail (et aux moyens humains et financiers) propres à chaque lieu. Le panorama des outils de veille et de management de communauté donnait des trucs et astuces utiles aussi à la bloggeuse débutante que je suis !

Les geeks vont dominer le monde mais les objets connectés risquent de nous laisser dominer


Derrière cette dramatisation, des questions importantes sur ces sujets ont été soulevées lors de deux conférences qui m’ont vraiment emballée, l’une portant sur l’Internet des objets, l‘autre sur la place des femmes dans les métiers de l’informatique.

Les objets connectés, s’ils présentent un potentiel énorme d’amélioration du quotidien (et pas seulement en termes de confort futile, mais aussi pour des secteurs essentiels comme la santé), vont poser certains problèmes que le législateur semble pour l’instant négliger. La collecte des données est devenue inévitable et se pose donc la question de l’accès et de l’utilisation de ces informations qui devraient appartenir à tous. Une autre question est celle de la valeur légale des « actes » posés spontanément au nom de leurs propriétaires par ces objets qui les représentent virtuellement. Vastes questions, abordées par Pascal Alberty et Stephan Pire, qui ne seront pas résolues de sitôt.

Autre vaste question, celle de la sous-représentation des femmes dans les TIC. Devant la place grandissante qu’occupent les technologies informatiques à tous les niveaux de notre vie, même lorsqu’on n’en a pas conscience, pourquoi laisser cette responsabilité – et ce potentiel – à seulement une moitié de la population ? Ces enjeux et ces challenges, mais aussi les initiatives qui existent pour tenter d’y remédier, ont été présentés avec un enthousiasme communicatif par l’a.s.b.l. Interface3 Namur et Bruno Schröder de Microsoft BeLux (une grosse machine, certes, mais qui a au moins le mérite de viser la mixité absolue à long terme). Ces acteurs de la plateforme « Genre-et-TIC » ont ainsi développé divers outils, dont une web-série, pour sensibiliser les jeunes et lutter contre les stéréotypes sur le monde de l’informatique et sur la place que peuvent y jouer les femmes. Sujet passionnant mais qui me fait m’écarter de l’objet de ce blog, même si les acteurs de la médiation culturelle, qui doivent créer du contenu et développer des outils pour tous, ne peuvent être réellement efficaces sans représenter la diversité et la mixité.

Cette édition 2014 de Rewics m’aura donc permis de découvrir de nouveaux outils, de nouveaux enjeux et de nouvelles pratiques, et, surtout, de me poser un tas de nouvelles questions. Rendez-vous à l’édition 2015 !


Retrouvez tous les partenaires sur le site http://www.rewics.be/

05/05/2014

Big Data Week


Aujourd’hui débute la Big Data Week.

Dans 30 grandes villes (apparemment, la Wallonie compte comme une ville), des conférences, des expos, des débats, des ateliers, pour un grand « festival mondial des data ».

Pour le programme des activités dans votre région ou en live-stream, visitez le site internet http://bigdataweek.com/wallonia.

 
#bdw14

Premier post!

Bienvenue sur Culturanea, blog consacré aux technologies dans les industries culturelles.

Outils de création, les « nouvelles » technologies sont aussi outil de médiation culturelle. On bouquine sur sa liseuse, on écoute de la musique sur son smartphone, on visionne des séries sur sa tablette, on visite un musée sur son ordinateur. Ces pratiques culturelles de plus en plus digitalisées seront au centre de ce blog.
Second screen, numérisation des connaissances, e-learning, créations interactives, smart cities, pôles d’innovation, événements, voilà quelques sujets dont je parlerai ici.

Comme je suis toujours curieuse et avide d’apprendre et d’échanger, n’hésitez pas à me contacter avec vos idées de sujets, vos infos à partager et vos commentaires.

Et pour clore ce premier post, un remerciement spécial à Delphine Jenart du Mundaneum (Mons) pour m’avoir donné l’idée de ce blog.

À très vite !